3 février 2023

Une histoire de la Fédération de France du FLN - Les manifestations du 17 octobre 1961

Posté par Imsat le 16 octobre 2022

Une préparation minutieuse

Mohamed Larbi Chikhi dit Babi 

En réponse au Préfet de Paris, Maurice Papon, qui avait instauré le couvre-feu pour les « Français musulmans » à partir de 20h, la décision fut prise par les responsables de la Fédération de France du FLN d’organiser une manifestation à Paris après accord du GPRA.

C’était évidemment facile à dire, mais la perspective de sa concrétisation sur le terrain paraissait un peu compliquée.

Nos militants et sympathisants, pour la plupart ouvriers, sortis de leur quartier, étaient en effet perdus, ils ne connaissaient en général qu’une seule ligne de métro ou un trajet en autobus qu’ils empruntaient régulièrement pour aller travailler et rentrer le soir.

Aussi, leur demander de prendre le métro et de changer de station et d’itinéraire, n’était a priori pas possible.  En tout cas, c’était compliqué et risqué.

Quand ils s’aventuraient dans d’autres quartiers, ils s’arrangeaient pour se faire guider par quelqu’un qui connaissait l’itinéraire. C’était le cas pour aller à Barbès ou souvent aux Puces, Porte de Clignancourt ou d’autres quartiers où résidaient des membres de leur famille.

Un travail considérable en amont des manifestations 

Commence alors pour nous un travail de préparation et de sensibilisation des différents responsables qui vont encadrer cette manifestation.

La police est sur les dents, elle multiplie les rafles, les perquisitions, les arrestations. Les cadres de la fédération FLN sont détenus pendant plusieurs semaines au Centre de Vincennes puis libérés au bout de quelques jours pour la majorité d’entre-eux.

Malgré les risques encourus, il fallait à tout prix expliquer le Ba-Ba de cette manifestation et surtout la garder secrète. Nos cadres se déployèrent dans les quartiers de la wilaya 1 qui regroupait les 13è 14è 15è et 5è arrondissements.

Le point de ralliement et l’itinéraire de la manifestation (Gare du Luxembourg comme point de départ de la manifestation-Boulevard St Michel-Pont St Michel et continuation jusqu’à la préfecture de Police) furent gardés secrets jusqu’à la dernière minute.

Les consignes sur l’absolue nécessité d’entourer les préparatifs de la manifestation d’une discrétion sans faille furent scrupuleusement respectées à tous les niveaux de l’organisation. Le succès de la manifestation en dépendait largement. Nous en étions tous conscients.

Le matin du 17 octobre, rendez-vous est pris avec le comité du groupe intellectuel au café le Départ, rue Gay Lussac.

La contribution des fonctionnaires « Français musulmans »

Notre force de frappe pour la journée reposait sur les fonctionnaires « Français musulmans », des différentes administrations françaises.

Ces fonctionnaires étaient structurés dans le groupe intellectuel avoisinant plus de 150 cadres. Il fallait à tout prix veiller à rapporter des informations précises et utiles et s’assurer en particulier que les services de police n’avaient pas vent de la manifestation.

Jusqu’à 19 h, rien n’avait filtré. Le pari était gagné.

Libérés de cette mission, nos gars regagnent leurs domiciles. (Les cadres n’ont pas le droit de manifester pour ne pas déstructurer l’organisation en cas d’arrestation)

Avant de m’éclipser à mon tour de la réunion, j’ai décidé de descendre le Boulevard St Michel jusqu’au croisement du Bd St Germain des Près.

En face de moi, les premières vagues impressionnantes libérées par la bouche du métro St Michel pressent le pas pour arriver à la gare du Luxembourg, point de départ de la manifestation.

A ce moment précis, un panier à salade descend vers la préfecture de Police, effectue une manœuvre sur place pour rejoindre à nouveau le commissariat du Panthéon et donner l’alerte.

Moi-même, j’ai dû battre en retraite et emprunter la rue Champollion, avant de déboucher sur la place de la Sorbonne où j’attendis que la manifestation démarre pour me permettre de rallier la gare du Luxembourg, aux alentours de 21 h.

La rame de métro était à l’arrêt, en attente des instructions sans doute. Ce fut la dernière. Plusieurs autres cadres se trouvaient dans le même wagon, je fus le seul à descendre à Sceaux. Nous avions eu de la chance.

Les jours d’après, nous nous sommes consacré avec d’autres cadres à recenser les dommages occasionnés à l’organisation par la répression qu’a déclenchée Maurice Papon contre nous.

Une répression féroce

A aucun moment, nous n’avions imaginé le nombre élevé d’arrestations ni hélas celui très important des disparus.

En ce qui concerne le nombre de morts, nous n’avions à ce moment-là aucune information précise. Le communiqué du ministère de l’Intérieur annonce 3 morts.

Il fallait attendre que le fleuve (La Seine) nous rende les corps et que des enquêtes soient diligentées auprès de l’institut médicolégal pour nous rendre compte de l’incommensurable catastrophe, un véritable génocide.

Les nombreux blessés étaient transportés par des bénévoles vers les hôpitaux ou des endroits sûrs, ce qui a permis d’éviter les liquidations physiques sur place.

Un rapport détaillé fut rédigé par le chef de Aamala (super zonal), Mohamed Ghafir dit Moh Clichy, rapport d’ailleurs repris par nombre d’historiens étrangers qui ont relaté cette répression aveugle, sanglante et complètement disproportionnée par rapport aux enjeux ; d’autant qu’a cette date les jeux étaient faits, nous étions à cinq mois du cessez-le-feu.

La répression à laquelle va se livrer le préfet de Police, couvert, faut-il le rappeler, par le Premier Ministre Michel Debré et le ministre de l’Intérieur Roger Frey, dépasse en horreurs tout entendement humain.

Les informations des médias français avaient commencé par relativiser l’ampleur de la manifestation, alors que le cœur de Paris était occupé de même que les grands Boulevards – Place de l’Opéra – Place de la Concorde –vers Matignon – Pont de Neuilly etc…

L’histoire retiendra que cette répression a fait des milliers de blessés et entre 200 et 300 morts parmi les manifestants algériens, tel que rapporté par l’historien Jean Luc Einaudi dans son livre La Bataille de Paris : 17 octobre 1961, consacré à l’évènement, après plusieurs années d’enquêtes acharnées. Ces chiffres sont attestés depuis, par la plupart des autres historiens sérieux qui ont travaillé sur la guerre d’Algérie.

Mais des deux côtés, il ne fallait pas lâcher la pression.  L’OAS inquiétait au plus haut point le gouvernement français qui savait que cette organisation jouait sa dernière carte.

Ouvrir les archives et éclaircir les crimes de la police de Paris

Je ne vais pas refaire l’histoire des manifestations du 17 octobre. Tout ou presque a été dit, écrit et filmé sur cet événement historique qui a ébranlé les fondements de la République Française.

Il n’y a plus rien de fondamental à ajouter, hormis au sujet des archives à ouvrir et qui doivent également apporter des éclaircissements absolument incontournables et essentiels sur les crimes commis de sang-froid par la police de Paris dans la cour de la préfecture de police et lors de l’incursion dans les appartements du préfet Papon, comme rapporté déjà par la presse française de l’époque.

Longtemps après les manifestations, les partis politiques de gauche et les syndicats organisèrent une manifestation de solidarité avec le peuple Algérien et pour la paix immédiate, au cours de laquelle sont morts huit manifestants à la station de Métro Filles du Calvaire, massacrés par les gardes mobiles.

Leurs obsèques donnèrent lieu à d’autres manifestations impressionnantes, cette fois de citoyens français. De fait, en cette année 1961 et à quelques encablures du cessez-le-feu, nous venions de procéder à l’enterrement de la politique et des stratégies françaises sur l’Algérie. Nous mettions ainsi fin aux rêves que cultivaient les partis politiques français partisans de l’Algérie française.

Mohamed Larbi CHIKHI dit Babi

Permanent de la Fédération de France du FLN

Cet article a été publié le dimanche 16 octobre 2022 à 19:00 et est catégorisé sous : Non classé.

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