Une contribution inédite du Pr Mohièdine Boutaleb

Pouvoir pour la noblesse ou
Noblesse pour le pouvoir
Une contribution inédite du Pr Mohièdine Boutaleb
Ancien médersien, professeur à la retraite

«les Arabes ne peuvent régner que grâce à quelque structure religieuse, de prophétie ou de sainteté » Ibn Khaldoun,
        1- Les sages ne comptent que par leur actions ...
Dans sa Muqqaddima (p. 125), Ibn Khaldoun rapporte ce qui suit «Nombreux sont les chefs de tribus ou de clans qui prétendent à des généalogies éclairées. Ils descendent de familles célèbres pour leur bravoure, leur noblesse ou leur renom. Ils veulent donc se faire passer pour des membres de ces maisons, sans voir qu'ils rendent suspecte leur véritable noblesse et leur droit au commandement. Ces prétentions sont aujourd'hui fréquentes».
En effet, cette passion pour l'acquisition du titre de noblesse continue à faire couler beaucoup d'encre.
La filiation de l'Imam Bachir Ibrahimi, par exemple, fut remontée à Idris Ibn Abdallah, le premier noyau de la noblesse Idrisside. Le grand Idris ainsi surnommé vint s'installer au Maghreb extrême après la bataille du «piège» qui opposa les Abbassides aux Alides. Les nobles Husseinites des Maghreb extrême et central sont ses seuls descendants.
A notre humble avis cette prétendue origine était le fruit de l'imagination de ses nombreux adeptes et admirateurs puisque Cheikh Ibrahimi s'élevait au-dessus de ces contingences fantaisistes et infondées car qui mieux que lui savait que Dieu «n'aime aucun fat présomptueux.» - Sourate Luqman, verset 18 - ne disait-il pas lui-même que «les sages ne comptent que par leur actions, et la valeur des hommes se mesure selon leurs bienfaits» et ce, au cours d'un de ses sermons du vendredi. (Publié dans la revue Achihâb (2/78), Constantine 1348/1930).
Et même la maison royale saoudite ne réfute pas son appartenance à la grande famille Quraychite bien qu'elle soit comblée de «mannes» lui permettant de posséder la prépondérance économique et politique.
Qui de nous ignore que son fondateur Mohammed Ibn Saoud occupa la presqu'île arabique en triomphant du charif Husseinite en 1924 malgré le puissant soutien de l'Angleterre apporté à son malheureux protégé par le biais de son redoutable agent Thomas, Edward Lawrence.
2 -  L'Emir Abdelkader malméné dans son sépulcre
Dans sa thèse éditée par les presses de l'université Islamique de Médine en 1416/1995, portant sur «la doctrine salafite du Cheikh Mohammed Ibn Abdelwahab et son influence sur le mondé islamique», le docteur Salah Ibn Abdellah Ibn Abderrahmane Al'Aboud, l'actuel Recteur de ladite Université, range Mohammed Ibn Saoud dans la caste nobiliaire et infirme à la page 544 de son œuvre sus-indiquée, la citation du docteur Mounir Al'Adjlani, insérée dans son traité sur l'arbre généalogique des rois saoudites, qui l'arrête à leur septième ancêtre, Mana', ajoutant simplement qu'à l'unanimité, les généalogistes reconnaissent que les ascendants de ce dernier étaient Rabi'a Ibn Nizar Ibn Ma'ad Ibn 'Adnane dont descendait Fahr, surnom de quoraïch d'où était issue la tribu Quraychite.
Mais â la page. 545 de sa thèse, l'auteur semble moins affirmatif que précédemment dès lors qu'il «croit», sans plus, que l'arbre généalogique dressé par Râched Ibn AI! Ibn A1 Hanbali allant au-delà de Mana' précité, était bien établi.
L'Emir Abdelkader n'a pas, non plus, connu de répit même dans son sépulcre ; il est «malmené» cette fois-ci, par ses descendants d'Algérie. Les démarches entreprise par Maître Boutaleb, avocat à Oran constituent la preuve de ce que nous avançons.
Afin d'être édifié sur les origines chérifiennes de son illustre ancêtre, il n'a pas hésité à saisir Messieurs Abdelhamid Benachenhou et Abdallah Laroui de l'objet de son obsession dont il ne put se délivrer que lorsque le premier nommé le tranquillisa en exauçant son vœu. Quant au second, il soutient «qu'il était le représentant d'une famille maraboutique», propos recueillis par notre Défenseur dans son livre :  l'Emir Abdelkader et la formation de la nation algérienne qui, piqué au vif, rétorque que le répondeur ne fait que paraphraser les auteurs occidentaux qui attribuent à l'Emir la simple qualité de Marabout dans un but malveillant pour salir surtout son blason.
3 -  ... Sans la traîtrise du transfuge ...
Nous avons eu l'honneur d'approcher ces deux personnalités imposantes par leur érudition et leur humilité, la première lors d'un voyage d'études à Rabat en juillet 1963, par le biais de Maître Salah Bey, notre parent par alliance, rencontré, incidemment, dans la capitale Chérifienne.
Monsieur Benachenhou nous avait, alors, réservé un accueil chaleureux dans sa luxueuse résidence. De surcroît, ce docte abordable nous avait tellement subjugués par son vaste savoir que nous avions, malheureusement, omis de nous renseigner auprès de lui, sur la véritable ascendance du premier résistant au colonialisme français.
Mais, dans les années 1970, nous nous étions rattrapé, à l'issue de sa brillante conférence ayant pour thème l'exil de l'Emir, donnée en arabe classique, à l'Université Populaire de Constantine, en lui posant la question de savoir si le «Marabout» comme se plaisent à le surnommer ses éternels détracteurs, pouvait combattre durant plus de quinze longues années un ennemi implacable dont la haine du Musulman frise le racisme. D'emblée, il nous avait répondu devant un large auditoire en parlant d'un bon ton : Pour étancher votre soif et celle du nombreux public présent, sachez que sans la traîtrise du transfuge Ammar ben Ferhat dit Layadi, notre glorieux et noble Emir n'aurait, certainement, pas connu l'exil ! »
La deuxième personnalité en l'occurrence Monsieur Abdallah Laroui, Professeur d'histoire à l'Université de Rabat avait, lui aussi, donné une conférence mais sur la culture Musulmane vue par les occidentaux lors du sixième colloque consacré à la connaissance de la pensée Islamique, tenu à Alger du 24 Juillet au 10 Août 1972. Il y avait fait un gros tabac par son objectivité et son esprit critique très ouvert.
S'il affirme que l'Emir est issu d'une famille maraboutique, il ne fera qu'enfoncer une porte ouverte. Le groupement des Hachem et autre djebel Boutaleb auxquels les fabulistes malintentionnés le rattachent, ne pourraient être une invention de l'historien Laroui «manipulé par les occidentaux» dont il avait, auparavant, démontré dans sa forte intéressante conférence, le côté négatif de leur maladroite attitude à l'endroit de l'Islam qui, bien compris, les guidera dans le bon sens.
4 - Les princes héritiers ne se contentent pas du droit de succession ...
Ce qui est grave, c'est de vouloir attribuer l'identification de l'Algérie à l'Emir Abdelkader. Dès l'ouverture de la rencontre organisée par l'Université d'Oran entre ses instituts d'histoire et de droit avec l'Institut des sciences sociales de sa jumelle de Annaba, du 28 au 30 novembre 1994 autour du thème : l'identification nationale avec l'Emir, l'historien Yahia Bouaziz déclare que ladite appellation du sujet à traiter porte préjudice à notre héros et ternit son prestige plus qu'elle ne le rehausse ; par ailleurs, elle dénature l'histoire de l'Algérie dont l'identité existe, bel et bien, depuis des millénaires avant le siècle d'Abdelkader qui, certes, avait su l'affermir et tenté, par tous les moyens, de l'arracher des griffes d'un colonialisme nihiliste.
Et Monsieur Mohammed Kadri, professeur à la faculté de droit de renchérir l'étape parcourue par l'Emir n'est que l'expression d'une impulsion insufflée dans l'âme de notre patrie moribonde sous le joug Ottoman.
Après de nombreuses interventions d'enseignants, d'étudiants et des autorités composant l'assistance, Madame Zakia Boutiba, Professeur à l'Institut des sciences sociales de l'Université de Annaba, dans une envolée envoûtante, conclut que le projet grandiose de l'Emir Abdelkader reflétant les dimensions de sa personnalité historiques, civilisatrices et religieuses ainsi que son œuvre unificatrice des tribus, accélératrice de la modernisation des structures étatiques et de la revivification des cellules obsolètes de la société tant au point de vue économique que militaire, soumis à point nommé, à notre réflexion, tendait à concrétiser notre identification nationale dans les normes, légalement, reconnues.
Ainsi, la frugalité, l'apanage des altruistes n'est plus de ce bas monde. Les princes héritiers ne se contentent pas du droit de succession qui leur est dévolu ; ils ambitionnent non seulement la noblesse du sang pour asseoir solidement leur trône mais convoitent surtout l'identification du pays sur lequel ils exercent leur autorité avec leur nom.
5 - La communauté du juste milieu,
Il est courant d'entendre parler d'Arabie Saoudite au lieu de presqu'île Arabique, du pouvoir Alaouite pour désigner le Maroc ou bien du trône Hachémite pour la Jordanie etcétéra.
Ces monarques et autres souverains du même acabit feraient mieux de gagner le ciel sans autant négliger leurs biens terrestres légaux.
En empruntant le droit chemin tracé par leurs ancêtres qui bannissaient l'esprit de lucre et appartenaient à la communauté du juste milieu, ils seront parmi les créatures de Dieu les plus pieuses et partant les plus aptes à diriger les affaires de leur pays en agissant, toujours, au mieux de l'intérêt général.
Leurs récompenses sont énumérées dans le verset 55 de la sourate, La Lumière : «A ceux d'entre vous qui croient et font œuvres pies, Dieu a promis de faire d'eux des vicaires sur terre- comme il l'avait fait de ceux qui étaient avant vous, d'affermir la religion qu'il lui a plu de leur faire professer, de transformer leur crainte en sécurité ...»
En effet, c'est en appliquant les principes rationnels de l'Islam et en se soumettant à la Loi divine que les Arabes s'étaient intimement liés et avaient fraternisé ; et grâce à leur union et leur amour du prochain, ils avaient conquis les cœurs et les empires.
A la page 151 de sa Muqqaddima le sociologue de renom, Abderrahmane Ibn Khaldoun confirme cette opinion selon laquelle «les Arabes ne peuvent régner que grâce à quelque structure religieuse, de prophétie ou de sainteté », démontrant «qu'en raison de leur sauvagerie innée, ils sont de tous les peuples, trop réfractaires pour accepter l'autorité d'autrui, par rudesse, orgueil, ambition et jalousie. Leurs aspirations tendent rarement vers un seul but. Il leur faut l'influence de la loi religieuse, la prophétie ou la sainteté, pour qu'ils se modèrent d'eux-mêmes et qu'ils perdent leur caractère hautain et jaloux. Il leur est, alors, facile de se soumettre et de s'unir, grâce à leur communauté religieuse. Ainsi rudesse et orgueil s'effacent et l'envie et la jalousie sont freinées. Quand un prophète ou un saint, parmi eux, les appelle à observer les commandements de Dieu et les débarrasser de leurs défauts pour leur substituer des vertus, les fait tous unir leurs voix pour faire triompher la vérité, ils deviennent alors pleinement unis et ils arrivent à la supériorité et au pouvoir royal''.
6 -  La religion, bien que pratiquée et respectée, ne constituait pas un instrument politique
Et à la page 157, il affirme, de plus, «que l'autorité royale découle de la supériorité. Celle-ci provient de l'esprit de clan. Seule la grâce de Dieu, en fondant sa religion, unit leurs cœurs et les vœux individuels, pour faire valoir leurs prétentions.»
Dieu a dit : «Eussiez-vous dépensé tous les trésors de la terre, que vous ne les auriez pas unifiés. Mais Dieu a mis de l'affection entre eux.» La clef de la réussite, c'est que la jalousie et la discorde séparent les cœurs tentés par les désirs mondains, tandis que ceux qui se tournent vers la vérité et rejettent le monde et ses faux-semblants avancent vers Dieu et deviennent un, «la jalousie disparaît, les différences s'estompent, la solidarité fleurit. En conséquence, l'Etat s'étend, la dynastie se développe. »
Mais Mostefa Lacheraf ne partage pas cette conception quand il s'agit de notre libération nationale. Dans son témoignage exclusif sur le détournement de l'avion de cinq responsables du FLN, paru dans le quotidien «E1 Watan» du 25 Octobre 2000, il déclare qu'après l'absence de la classe religieuse et des messalistes, lors du déclenchement de l'initiative révolutionnaire du 1erNovembre 1954 «la religion, bien que pratiquée et respectée, ne constituait pas un instrument politique capable de mobiliser les masses et les élites pour une telle cause. Question, donc, de rapport de forces et de séparation des concepts. Les colonialistes français, eux, se référant aux insurrections du siècle dernier en Algérie, croyaient en une telle éventualité et pensaient fermement à une levée en masse éphémère très vite baignée dans le sang, mais le FLN-ALN déjoua leurs calculs en misant sur la longue durée, une parfaite organisation de la lutte, l'esprit de sacrifice propre à l'ancien patriotisme libérateur du Maghreb. »
Boutaleb Mohiédine
1er Novembre 2011
Avec l’aimable courtoisie de l’auteur.
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