L’impérieuse
reprise de contact avec l’Organisation
Mohammed
Larbi Chikhi dit Babi
Aussitôt
libéré du camp de Vadnay dans la Marne après une détention qui a duré d’août
1958 à janvier 1960, il fallait absolument que je renoue sans tarder avec
l’organisation. Je pris attache avec Belbachir, mon successeur à la tête de la
région. C’est lui qui me fit savoir que le responsable de la zone, Alian Si
H’mimi m’attendait à la sortie du métro Playel le 17 janvier 1960, à partir de
10 heures, un journal à la main gauche. Bien plus tard que dix heures, le voilà
à son tour émergeant de la bouche du métro. Je le suivis d’abord à distance
puis le rattrapai, nous fîmes quelques pas ensemble, il me questionna sur ma
situation, me recommanda de quitter définitivement le secteur de St Ouen, et me
remit une enveloppe contenant de l’argent pour me permettre de tenir, en
attendant ma prochaine affectation, qui ne va pas tarder. Il insista pour que
je fasse très attention, la police à cette époque était très active.
Quelques
jours plus tard, il me fit savoir que mon prochain contact était prévu Porte
d’Orléans, Bd Jourdan, sur le même trottoir que l’hôpital universitaire, et que
la personne que je devais rencontrer me connaissait parfaitement.
Le
jour J je me suis donc déplacé, comme convenu, porte d’Orléans. A la sortie du
métro, j’ai acheté la première édition
du Monde avant de m’installer à l’intérieur de la brasserie qui faisait l’angle
du boulevard. J’étais arrivé longtemps à l’avance, il faisait un froid de
canard, je n’étais pas encore chaudement habillé, j’ai commandé un café et
décidé de rester au chaud en attendant mon contact qui devait arriver d’un
moment à l’autre.
Au
bout d’un long moment, le voilà qui descend d’un bus, et je m’aperçois que
c’est Ait Abdeslem Ramdane dit Casquette. Comme à notre habitude, je le suivis
longtemps avant de l’aborder, sécurité oblige, m’assurant qu’il n’était pas
suivi. Je presse le pas pour le rattraper. Les retrouvailles sont chaleureuses.
Casquette
n’avait pas du tout changé physiquement, je lui trouvais une certaine
ressemblance avec l’acteur Jacques Palance, maigre comme un balai, le visage
émacié, le regard direct. Quand il parlait, on avait l’impression qu’il était
en colère. Nous continuons de marcher tout le long du boulevard Jourdan, nous
nous arrêtons pour siroter un café. En peu de mots, il m’expliqua ma mission,
me mit en garde contre les harkis qui venaient de s’installer dans le 13è
arrondissement. Je lui fis part de ma situation financière. Il en prit bonne
note mais avant de nous quitter, il partagea une bonne partie de sa permanence
avec moi.
Rencontres
et retrouvailles salutaires
Au
lieu d’aller vers la Place d’Italie, j’ai préféré remonter le Bd Jourdan dans
le sens inverse en changeant simplement de trottoir ; à nouveau je
longeais le mur de la cité internationale universitaire, un
magnifique bâtiment, de la pelouse partout, je suis resté émerveillé devant la
propreté des lieux.
Sans
me douter un seul instant que le hasard et la rencontre avec un égyptien copte,
étudiant à la Sorbonne, vont me permettre d’élire domicile à la fondation
allemande toute proche de la porte principale. Cette planque va me permettre,
et ce sera souvent le cas, d’héberger un de
nos responsables, Si Ahmed, surtout au moment où il doit rédiger son rapport.
La
chambrée était dotée d’une douche, et autres commodités minimales Pour les
repas, notre bienfaiteur nous procurait des tickets pour le self-service qui
fonctionnait à merveille. Il fallait se mettre au milieu de la file des
étudiants pour ne pas avoir à montrer la carte d’étudiant. Notre bienfaiteur,
qui nous accompagnait au début, s’était arrangé pour nous faire connaitre des
surveillants. Bien sûr, nous évitâmes d’exagérer de cette facilité. Je
regagnais cette tanière souvent très tôt pour ne pas risquer de faire de
mauvaises rencontres le soir. Un peu plus tard, mes cousins Ali et Salem, des
techniciens de Shell, me proposèrent de venir vivre avec eux dans le 17ème
arrondissement (rue Léon Joste) pas loin de la Place des Ternes. C’est ce que
je fis mais pas pour longtemps puisque grâce à eux et à leur entregent dans le
milieu pétrolier, ils me trouvèrent un emploi dans le XII arrondissement avec
un studio au-dessus de la station-service.
Le
soutien appréciable de C. Barnnu
Le
gérant de cette station, Christian Barnnu, était un ancien rapatrié de Tunisie
suite à l’affaire de Bizerte. (Pour rappel, le président Bourguiba avait décidé
de reprendre la souveraineté de la Tunisie sur la base de Bizerte; la France,
comme à son habitude, a utilisé la force militaire présente en Tunisie pour se
maintenir. Les éléments de l’ALN présents à ce moment-là en Tunisie donnèrent
un coup de main aux militaires Tunisiens)
Barnnu
s’avèrera lui aussi être une bonne recrue pour nous; sa station servira de
point de chute pour camoufler les véhicules de l’organisation, pour déposer les
fonds et permettre souvent aux frères recherchés de trouver un gite pour la
nuit avant d’embarquer pour l’Allemagne, le Maroc ou la Tunisie devenus
incontournables dans le quartier du Faubourg St Antoine, Ledru Rollin.
Les
marchands de meubles me connaissaient tous, je prenais soin de leurs véhicules
qu’ils bichonnaient plus que leur maitresse. Mais cette notoriété commençait à
me porter préjudice. Des éléments du groupe de choc armé, de la région du XII
arrondissement qui ne dépendait pas de notre secteur, se sont fait interpeller
par deux motards en maraude sur le Bd St Antoine. La réaction de ses éléments a
été rapide; au lieu de présenter leurs papiers d’identité, ils ont tiré sur les
policiers, l’un s’effondra, l’autre réagira à son tour puis a blessé
mortellement un de nos éléments.
Le
quartier généralement bien calme était devenu dangereux, il fallait que
j’évacue une fois de plus les lieux. Mais pendant mon séjour, je ralliais
rapidement le quartier Latin où je continuais à activer à l’aise. Nos
intellectuels aimaient bien déambuler le long du Bd St Michel dans les deux
sens à la rencontre de nouveaux visages ou encore d’informations sur les
évènements du bled. Certains se retrouvaient au 126 Bd St Michel ex siège de
l’Ugema, mais aussi au restaurant universitaire des étudiants Algériens très
surveillé par la police. Les sorties ne se faisaient jamais individuellement,
il fallait toujours sortir par groupe pour permettre aux permanents du FLN
présents à l’occasion, de transmettre des directives ou pour différents
contacts à prendre, de s’en aller et de se fondre dans la masse.
Ce
quartier va connaître un peu plus de notoriété et cela grâce à la grande
manifestation du 17 octobre 1961 que le FLN décida d’organiser. Cette action
qui suscitera l’intérêt grandissant des médias internationaux apparaîtra aussi
d’une certaine manière comme le prélude aux évènements de mai 1968 qui vont
ébranler les institutions de la 5ème République et précipiter le départ du
général de Gaulle du pouvoir.
ML Chikhi dit
Babi
Posté par
imsat le 26 novembre 2022
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