La
confrontation avec les réalités
Mohamed Larbi Chikhi dit Babi
Nous
venions de terminer le recensement exigé par les responsables fédéraux et
clôturer laborieusement les comptes de juillet. Nos attestations de départ en
poche, nous attendions les dernières instructions pour prendre le train pour
Paris.
La
cohabitation avec les ex responsables de la région de Lyon était devenue
impossible. La contestation commençait à gagner du terrain. Notre chef de
wilaya, Abdallah dit dents blanches, nous demanda de participer à un
regroupement des cadres des deux wilayas en région Lyonnaise. A cette occasion,
notre coordinateur Attaba Mohamed, nous fit une communication importante. Il
nous relata les péripéties du dernier CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne)
à Tripoli auquel assistait Ahmed Ben Bella. Le CNRA, qui à ce moment-là,
n’avait pas été clôturé, laissa chaque membre et chaque groupe partir de son
côté.
Nous
étions ainsi informés en moins d’une heure de ce que nos responsables nous
avaient caché pendant toute la période de la lutte de libération, c’est-à-dire
les divisions qui minaient la révolution et qui se réglaient à coup de
liquidations physiques. Maintenant que l’ennemi est vaincu, les ambitions des-uns
et des-autres ne sont plus que secrets de polichinelle. Il ne m’appartient pas
de disserter sur cet aspect de l’histoire.
Beaucoup a été dit et écrit, mais certaines vérités restent à dévoiler
sur l’Histoire de notre pays et la révolution. Le 19 août 1962, j’embarque pour
Alger après avoir passé quelques jours à Paris juste pour saluer de la famille,
quelques amis qui nous ont aidés, et pour ramasser quelques affaires qui
traînaient par ci par là. Et me voilà à
Dar El Beida, Alger la Blanche.
Retrouvailles
et Grande émotion !
Je rallie
la capitale au plus vite, et comme d’habitude, je n’avais qu’une seule adresse
en tête : rue Caussemille à Belcourt, inchangée depuis 50 ans. Ma cousine Melha m’apprend que ma sœur Fakia
se trouvait à Alger avec son mari, j’ai fini par la retrouver, ainsi que la
voiture de mon père, une 203 Peugeot.
Deux jours après, je me retrouve dans le cocon familial, heureux de
renouer avec les miens tous heureusement en bonne santé. Quelques jours m’ont suffi pour examiner la
situation sur tous les plans, en particulier politique. En mon for intérieur,
je me disais que je n’avais au fond rien à faire dans cette ville où les habitudes
des citoyens sont encore « doucement le matin, pas trop vite l’après-midi. »
Je suis
certes à Alger mais bien malin qui peut me dire comment cela va fonctionner.
Les oppositions et rivalités politiques s’exacerbent entre divers groupes
(groupe de Tlemcen, groupe de Tizi Ouzou…). Farès, nommé pour assurer la
transition, peine à se faire entendre. La rue gronde, la ville est occupée par
les djounouds de la wilaya 4. Les commandos de Yacef Saadi que dirige Azzedine
font du zèle, sans plus. Sidi Abderrahmane Ethaalabi veille sur Alger. En
définitive, rien de grave ne survient, au grand étonnement des étrangers.
Une
dynamique politique est enclenchée malgré des tiraillements. Les choses
s’organisent à un rythme soutenu, une dynamique s’enclenche, la constituante
est mise en place, la constitution est rédigée. L’Assemblée nationale est élue.
Le premier gouvernement est formé. Des tiraillements vont commencer avec un
chef du gouvernement qui cumule plein de fonctions, et qui va nous balloter
pendant presque trois années, d’un système à un autre (du cubain au chinois en
passant par le modèle Yougoslave et des références au mouvement des
non-alignés…).
L’autogestion
s’installe durablement, les fermes continuent à fournir fruits et légumes, et à
procurer un bien-être à nos paysans. L’économie et les finances sont gérées au
jour le jour, en attendant de récupérer les véritables outils de production
encore entre les mains des étrangers. Le
plus grave reste le pouvoir en place qui, en l’absence d’une feuille de route,
navigue en essayant d’éviter les écueils mais commence à fragiliser l’unité
nationale. ‘’Il fallait à tout prix en finir avec les maquis en Kabylie et
les différentes oppositions’’. C’était le mot d’ordre de certains. Fort
heureusement, des négociations secrètes sont engagées en temps opportun entre
le pouvoir et le FFS (Front des forces socialistes) évitant ainsi in extremis
au pays un conflit dont il n’avait vraiment pas besoin au sortir d’une guerre
de libération de 7 ans et dont on ne dira jamais assez qu’elle fut destructrice
à tous points de vue.
Un projet
de coopération avec l’Unesco
En dépit
d’une conjoncture politique incertaine, je restais actif, toujours opérationnel
et à l’écoute de la moindre information utile. A ce moment-là, Bellahcène et moi, travaillions sur un projet
de coopération avec l’Unesco et sur ce que nous pouvions attendre de la part de
cette institution en termes de moyens techniques et pédagogiques. René Maheu,
son directeur général qui nous a reçus très cordialement, nous prodigua nombre
de conseils judicieux. Bellahcene
Chaabane considérait pour sa part que les carottes étaient peut-être cuites
pour la place et le statut de la langue française en Algérie compte tenu du
comportement d’Ahmed Ben Bella à
l’inauguration de l’exposition que le Ministère de l’Orientation dirigé par
Chérif Belkacem avait organisé à l’École des Beaux-arts d’Alger.
M. René
Maheu était invité à prononcer un discours à cette occasion, de même que
d’autres participants. Curieusement, Ben Bella s’est abstenu d’intervenir, il a
même quitté les lieux dès la fin de la rencontre, laissant tout le monde bouche
bée. C’était quelques jours avant le putsch
du 19 juin… J’avais perçu cette sortie
hâtive du Président comme une sorte de refus de sa part de cautionner les
résolutions adoptées lors de la rencontre parce qu’elles s’inscrivaient dans
une démarche et un programme d’accompagnement que l’Unesco acceptait d’appuyer
par des moyens pédagogiques en phase avec des impératifs culturels connectés à
un environnement linguistique où prédominait encore et très largement la langue
française. Ce n’est que longtemps après que je compris son silence de carpe en
me remémorant une de ses déclarations qui avait marqué les esprits: « Nous
sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes ! » Cette phrase
qu’il a prononcée à Tunis en 1962, Ben Bella l’a redite lors de son discours au
Forum d’Alger en avril 1964 en ajoutant même qu’il la répèterait autant de fois
que nécessaire.
Bellahcène
répondra favorablement à la proposition de René Maheu pour devenir Mr Alphabétisation
de l’Afrique. Chérif Belkacem lui donna immédiatement son accord, lui rendant
ainsi un grand service. Cependant, l’Algérie perdait officiellement un grand
pédagogue et en même temps son premier cadre de valeur avant de commencer à
respirer. J’ai eu à apprécier ce
Monsieur pendant la préparation du grand séminaire de l’émigration que j’ai eu
l’insigne honneur de coordonner dans la cadre de ma présence en France au sein
de l’Amicale présidée à cette époque par Mahmoud Guenez. Dans le contexte
politique qui prévalait alors, le pouvoir en place ambitionne de mettre fin aux
fonctions du Ministre de la Défense en s’attaquant d’abord au Ministre des
Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika, proche de Houari Boumediene.
Mission
pour un programme d’alphabétisation d’enfants d’émigrés.
Cette
crise qui va durer tout le mois de juin nous surprendra, Bellahcene et moi, à
Paris où nous fûmes envoyés par Cherif Belkacem pour prendre contact avec le président
de l’Amicale des Algériens en vue de mettre en place un programme
d’alphabétisation et d’arabisation au profit d’enfants d’émigrés. Cette mission
était un prétexte pour nous éloigner momentanément d’Alger. Il fallait nous
préserver en attendant des missions ultérieures. C’était aussi une réponse à
une demande de Abssi coordinateur de l’Amicale, très proche de Ben Bella,
arabisant invétéré qui lui réclamait sans cesse de mettre en place une
structure pour la prise en charge des petits enfants d’émigrés en France. Comme
tout le reste, c’était facile à dire mais sur le terrain se poseront des problèmes
incommensurables.
Après
avoir pris langue avec les représentants de l’éducation nationale qui en
quelques mots diplomatiques et plein de bon sens nous expliquèrent que notre
projet n’était pas réalisable : On nous a invoqué l’absence d’espaces
appropriés en milieu scolaire, les exigences liées à la règlementation en
vigueur en matière d’hygiène scolaire, d’utilisation de locaux, de cahier des
charges, etc. A ces arguments objectifs et indiscutables au regard des lois
françaises, s’ajoutait la non-disponibilité des élèves d’origine algérienne
après une journée en milieu scolaire et souvent des devoirs à faire le soir à
la maison. Ainsi la réponse du gouvernement français est claire nonobstant
notre proposition de fournir des enseignants d’origine Algérienne pour encadrer
l’opération arabisation avec la collaboration de l’Unesco.
Le 19
juin à 4 heures du matin, Bouakaz, le secrétaire de Reda Malek, nous réveilla
et nous demanda de rallier notre ambassade où nous attendait Réda Malek. Ce
dernier qui n’avait pas encore présenté ses lettres créances au général De
Gaulle, nous informa du coup d’état. Ben Bella écarté, place au travail
sérieux. Le pays en avait bien besoin.
Les patriotes se mettent à nouveau au service de la Révolution.
ML Chikhi
Posté par imsat le 23 mars 2023
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Cet article a été publié le jeudi
23 mars 2023 à 23:10 et est catégorisé sous Non classé.
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