25 mars 2023

Une Histoire de la Fédération de France - Retour à Alger ...

La confrontation avec les réalités postindépendance

Mohamed Larbi Chikhi dit Babi

Nous venions de terminer le recensement exigé par les responsables fédéraux et clôturer laborieusement les comptes de juillet. Nos attestations de départ en poche, nous attendions les dernières instructions pour prendre le train pour Paris.

La cohabitation avec les ex responsables de la région de Lyon était devenue impossible. La contestation commençait à gagner du terrain. Notre chef de wilaya, Abdallah dit dents blanches, nous demanda de participer à un regroupement des cadres des deux wilayas en région Lyonnaise. A cette occasion, notre coordinateur Attaba Mohamed, nous fit une communication importante. Il nous relata les péripéties du dernier CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) à Tripoli auquel assistait Ahmed Ben Bella. Le CNRA, qui à ce moment-là, n’avait pas été clôturé, laissa chaque membre et chaque groupe partir de son côté.

Nous étions ainsi informés en moins d’une heure de ce que nos responsables nous avaient caché pendant toute la période de la lutte de libération, c’est-à-dire les divisions qui minaient la révolution et qui se réglaient à coup de liquidations physiques. Maintenant que l’ennemi est vaincu, les ambitions des-uns et des-autres ne sont plus que secrets de polichinelle. Il ne m’appartient pas de disserter sur cet aspect de l’histoire.  Beaucoup a été dit et écrit, mais certaines vérités restent à dévoiler sur l’Histoire de notre pays et la révolution. Le 19 août 1962, j’embarque pour Alger après avoir passé quelques jours à Paris juste pour saluer de la famille, quelques amis qui nous ont aidés, et pour ramasser quelques affaires qui traînaient par ci par là.  Et me voilà à Dar El Beida, Alger la Blanche.

Retrouvailles et Grande émotion !

Je rallie la capitale au plus vite, et comme d’habitude, je n’avais qu’une seule adresse en tête : rue Caussemille à Belcourt, inchangée depuis 50 ans.  Ma cousine Melha m’apprend que ma sœur Fakia se trouvait à Alger avec son mari, j’ai fini par la retrouver, ainsi que la voiture de mon père, une 203 Peugeot.  Deux jours après, je me retrouve dans le cocon familial, heureux de renouer avec les miens tous heureusement en bonne santé.  Quelques jours m’ont suffi pour examiner la situation sur tous les plans, en particulier politique. En mon for intérieur, je me disais que je n’avais au fond rien à faire dans cette ville où les habitudes des citoyens sont encore « doucement le matin, pas trop vite l’après-midi. »

Je suis certes à Alger mais bien malin qui peut me dire comment cela va fonctionner. Les oppositions et rivalités politiques s’exacerbent entre divers groupes (groupe de Tlemcen, groupe de Tizi Ouzou…). Farès, nommé pour assurer la transition, peine à se faire entendre. La rue gronde, la ville est occupée par les djounouds de la wilaya 4. Les commandos de Yacef Saadi que dirige Azzedine font du zèle, sans plus. Sidi Abderrahmane Ethaalabi veille sur Alger. En définitive, rien de grave ne survient, au grand étonnement des étrangers.

Une dynamique politique est enclenchée malgré des tiraillements. Les choses s’organisent à un rythme soutenu, une dynamique s’enclenche, la constituante est mise en place, la constitution est rédigée. L’Assemblée nationale est élue. Le premier gouvernement est formé. Des tiraillements vont commencer avec un chef du gouvernement qui cumule plein de fonctions, et qui va nous balloter pendant presque trois années, d’un système à un autre (du cubain au chinois en passant par le modèle Yougoslave et des références au mouvement des non-alignés…).

L’autogestion s’installe durablement, les fermes continuent à fournir fruits et légumes, et à procurer un bien-être à nos paysans. L’économie et les finances sont gérées au jour le jour, en attendant de récupérer les véritables outils de production encore entre les mains des étrangers.  Le plus grave reste le pouvoir en place qui, en l’absence d’une feuille de route, navigue en essayant d’éviter les écueils mais commence à fragiliser l’unité nationale. ‘’Il fallait à tout prix en finir avec les maquis en Kabylie et les différentes oppositions’’. C’était le mot d’ordre de certains. Fort heureusement, des négociations secrètes sont engagées en temps opportun entre le pouvoir et le FFS (Front des forces socialistes) évitant ainsi in extremis au pays un conflit dont il n’avait vraiment pas besoin au sortir d’une guerre de libération de 7 ans et dont on ne dira jamais assez qu’elle fut destructrice à tous points de vue.

Un projet de coopération avec l’Unesco

En dépit d’une conjoncture politique incertaine, je restais actif, toujours opérationnel et à l’écoute de la moindre information utile. A ce moment-là,  Bellahcène et moi, travaillions sur un projet de coopération avec l’Unesco et sur ce que nous pouvions attendre de la part de cette institution en termes de moyens techniques et pédagogiques. René Maheu, son directeur général qui nous a reçus très cordialement, nous prodigua nombre de conseils judicieux.  Bellahcene Chaabane considérait pour sa part que les carottes étaient peut-être cuites pour la place et le statut de la langue française en Algérie compte tenu du comportement  d’Ahmed Ben Bella à l’inauguration de l’exposition que le Ministère de l’Orientation dirigé par Chérif Belkacem avait organisé à l’École des Beaux-arts d’Alger.

M. René Maheu était invité à prononcer un discours à cette occasion, de même que d’autres participants. Curieusement, Ben Bella s’est abstenu d’intervenir, il a même quitté les lieux dès la fin de la rencontre, laissant tout le monde bouche bée.  C’était quelques jours avant le putsch du 19 juin…  J’avais perçu cette sortie hâtive du Président comme une sorte de refus de sa part de cautionner les résolutions adoptées lors de la rencontre parce qu’elles s’inscrivaient dans une démarche et un programme d’accompagnement que l’Unesco acceptait d’appuyer par des moyens pédagogiques en phase avec des impératifs culturels connectés à un environnement linguistique où prédominait encore et très largement la langue française. Ce n’est que longtemps après que je compris son silence de carpe en me remémorant une de ses déclarations qui avait marqué les esprits: « Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes ! » Cette phrase qu’il a prononcée à Tunis en 1962, Ben Bella l’a redite lors de son discours au Forum d’Alger en avril 1964 en ajoutant même qu’il la répèterait autant de fois que nécessaire.

Bellahcène répondra favorablement à la proposition de René Maheu pour devenir Mr Alphabétisation de l’Afrique. Chérif Belkacem lui donna immédiatement son accord, lui rendant ainsi un grand service. Cependant, l’Algérie perdait officiellement un grand pédagogue et en même temps son premier cadre de valeur avant de commencer à respirer.  J’ai eu à apprécier ce Monsieur pendant la préparation du grand séminaire de l’émigration que j’ai eu l’insigne honneur de coordonner dans la cadre de ma présence en France au sein de l’Amicale présidée à cette époque par Mahmoud Guenez. Dans le contexte politique qui prévalait alors, le pouvoir en place ambitionne de mettre fin aux fonctions du Ministre de la Défense en s’attaquant d’abord au Ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika, proche de Houari Boumediene.

Mission pour un programme d’alphabétisation d’enfants d’émigrés.

Cette crise qui va durer tout le mois de juin nous surprendra, Bellahcene et moi, à Paris où nous fûmes envoyés par Cherif Belkacem pour prendre contact avec le président de l’Amicale des Algériens en vue de mettre en place un programme d’alphabétisation et d’arabisation au profit d’enfants d’émigrés. Cette mission était un prétexte pour nous éloigner momentanément d’Alger. Il fallait nous préserver en attendant des missions ultérieures. C’était aussi une réponse à une demande de Abssi coordinateur de l’Amicale, très proche de Ben Bella, arabisant invétéré qui lui réclamait sans cesse de mettre en place une structure pour la prise en charge des petits enfants d’émigrés en France. Comme tout le reste, c’était facile à dire mais sur le terrain se poseront des problèmes incommensurables.

Après avoir pris langue avec les représentants de l’éducation nationale qui en quelques mots diplomatiques et plein de bon sens nous expliquèrent que notre projet n’était pas réalisable : On nous a invoqué l’absence d’espaces appropriés en milieu scolaire, les exigences liées à la règlementation en vigueur en matière d’hygiène scolaire, d’utilisation de locaux, de cahier des charges, etc. A ces arguments objectifs et indiscutables au regard des lois françaises, s’ajoutait la non-disponibilité des élèves d’origine algérienne après une journée en milieu scolaire et souvent des devoirs à faire le soir à la maison. Ainsi la réponse du gouvernement français est claire nonobstant notre proposition de fournir des enseignants d’origine Algérienne pour encadrer l’opération arabisation avec la collaboration de l’Unesco. 

Le 19 juin à 4 heures du matin, Bouakaz, le secrétaire de Reda Malek, nous réveilla et nous demanda de rallier notre ambassade où nous attendait Réda Malek. Ce dernier qui n’avait pas encore présenté ses lettres créances au général De Gaulle, nous informa du coup d’état. Ben Bella écarté, place au travail sérieux. Le pays en avait bien besoin.  Les patriotes se mettent à nouveau au service de la Révolution.

ML Chikhi

Posté par imsat le 23 mars 2023

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Cet article a été publié le jeudi 23 mars 2023 à 23:10 et est catégorisé sous Non classé.

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